Coup double. A nouveau l’ingéniérie politique a fait ses preuves au Congo car la nomination de Jeanine Mabunda Lioko à la présidence de l’Assemblée nationale représente une double et paradoxale victoire.
Une victoire d’abord pour les FCC (Front commun pour le Congo) la plate forme réunie par le président Kabila. Disposant d’une très
confortable majorité au Parlement, le poste revenait au clan présidentiel et c’est donc sans surprise qu’il fut attribué à une personnalité de
confiance, proche de l’ancien président qui, comme il s’y était engagé, cohabite paisiblement avec Felix Tshisekedi, tout en balisant étroitement le terrain d’action de son successeur.
Mais la victoire appartient aussi aux femmes congolaises qui, en la personne de Mme Mabunda, voient enfin reconnaître leur talent
politique et leur capacité d’accéder aux plus hautes fonctions. Cependant, et c’est là le paradoxe, Jeanine Mabunda n’est en rien le
produit de la société civile ou des associations féminines, elle est plutôt une femme de pouvoir, qui doit son ascension à ses capacités intellectuelles, à son entregent et, surtout, à ses excellentes connections au sommet de l’Etat.
Après des études de droit à l’UCL et une licence à l’ICHEC, Jeanine Mabunda est engagée en 1988 à la Citibank puis à la Banque centrale
du Congo au titre de conseiller du gouverneur de l’époque Jean-Claude Masangu, l’homme qui stabilisera la franc congolais.
Economiste douée, elle entre en contact avec l’éminence grise du président Kabila, Augustin Katumba Mwanke. Ce dernier se révèle à
la fois un homme d’Etat dans les situations de crise, où, entre autres il négocie avec le Rwanda, et un homme de confiance qui crée puis
gère la fortune du chef de l’Etat et de sa famille. Jusqu’à sa mort en 2012 dans le crash de son avion : alors qu’il se prépare à atterrir à
Bukavu l’appareil, qui avait été prêté par Moïse Katumbi, est victime d’un erreur de pilotage et s’écrase dans un ravin. Katumba Mwanke,
l’homme qui possédait les dossiers de Kabila et gérait sa fortune, meurt sans livrer ses secrets. En 2002, Jeanine Mabunda avait été placée à la tête du Fonds de promotion industrielle comme administratrice déléguée générale.
S’il lui fut reproché d’avoir fait des choix favorisant la famille du président, sa soeur Jaynet, son frère Zoé permettant d’agrandir l’empire
économique du Raïs, elle aura aussi tenté d’ouvrir le Congo profond au secteur bancaire, créant des guichets de financement pour les petites et moyennes entreprises afin d’encourager les initiatives individuelles.
Parallèlement, sa carrière politique s’envole et, en 2011 puis 2018 elle est élue députée nationale et prend la présidence de la Ligue
des femmes du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, le parti créé par feu Laurent Désiré Kabila.
C’est en 2014 que se confirme la confiance présidentielle : alors que le Docteur Mukwege parcourt le monde et dénonce le viol comme
arme de guerre, Jeanine Mabunda est nommée représentante personnelle du chef de l’Etat en charge de la lutte contre les violences
sexuelles et le recrutement des enfants soldats. Si elle estime que la gravité de la situation à l’Est a été montée en épingle et que Bukavu
n’est pas la « capitale mondiale du viol », Jeanine Mabunda ne se contente pas de relations publiques : elle multiplie les actions de prévention, de sensibilisation et surtout, elle encourage les tribunaux militaires à traduire en procès les membres de forces armées accusés
de viols. Avec pour résultat une diminution sensible des agressions sexuelles commises par des hommes en uniforme, même si ,
entretemps, -comme s’ils avaient été contaminés-, des civils et des groupes armés non identifiés ont pris le relais de la violence contre
les femmes. A l’Assemblée, Jeanine Mabunda, femme de tête et femme à poigne, assurée de l’appui des FCC et demeurée proche de Joseph Kabila,
sera secondée par Jean-Marc Kabund A Kabund, novice dans l’hémicycle mais représentant l’UDPS le parti du président Félix Tshisekedi
tandis que les autres partis d’opposition accusent la coalition FCC-CACH (Coalition pour le changement) d’avoir fait main basse sur
la totalité des sièges du bureau.
Le Soir