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La douleur de la justice non servie se conserve bien quel que soit le nombre d’années, car il est refusé aux survivants de faire leur deuil.

13 Juin 2007 – 13 Juin 2019. 12 ans.

Il y a 12 ans, vers 17 heures je recevais un appel de mon grand frère Serge, moi à Kinshasa et lui à Bukavu et nous parlerons et ferons des projets. Ce que je ne savais pas alors, c’est que ça serait la dernière fois que je lui parlerais, car quelques heures plus tard, vers minuit je recevrai un autre coup de fil pour m’annoncer son assassinat. Plusieurs balles dans le corps, dont une qui lui sectionnera l’artère fémoral, et il se videra de son sang pour arriver à l’hôpital quelques heures plus tard, quelques heures trop tard. Quelques semaines avant, il m’avait appelé et fait part de menaces de mort reçues par téléphone. Elles n’étaient pas les premières qu’il recevait et il faisait de son mieux pour ne pas laisser paraître son inquiétude.

Serge Maheshe Kasole, 31 ans, père de famille, journaliste et secrétaire de rédaction de Radio Okapi depuis 2003 fut ainsi châtié et condamné à la peine capitale pour avoir servi la vérité. La Kalachnikov avait encore une fois rendu son service funeste à des bourreaux qui ne seront jamais vraiment inquiétés, même si le sang versé était si prometteur pour la république.

Les fréquences de la Radio Okapi étaient à l’époque quasiment l’unique source locale d’informations impartiales et fiables. Dans la période post-conflit que traversait le Congo, Serge avait fait sien cet idéal d’informer, et souvent informer était presque immanquablement synonyme de dénoncer. Dans ce contexte, informer équivalait indirectement à tenir responsables de leurs actes les parties concernées, de quel bord qu’elles fussent. Ceci lui a très vite valu une grande réputation et un grand respect des millions d’auditeurs de Radio Okapi, mais ça lui a valu aussi de recevoir à plusieurs occasions, de menaces de mort répétées.

Il a pendant plusieurs années sillonnée la partie Est de la République Démocratique du Congo, région la plus affectée par les multiples conflits armés alors, et rapporté de manière impartiale sur ce qui se passait.

Au lendemain de son assassinat, un procès commencera dans l’empressement et sera tenu pendant plusieurs semaines. Ledit procès, ainsi que d’autres qui suivront sur la même affaire fera tout sauf faire justice en cherchant les coupables.

Plusieurs rapports d’observateurs tant nationaux qu’internationaux dénonceront en vain nombreuses irrégularités dont fut entaché le processus à tous les niveaux. Le rapport final de Protection Internationale1 sur le procès a relevé nombreuses failles dans l’administration de la justice dans les procès qui ont été tenus. De nouveaux éléments avaient surgi en 20152, pointant vers de nouvelles pistes, sans suite aucune.

Au moment d’écrire cette note, la mort de Serge Maheshe n’est que de très peu d’intérêt pour les médias tant nationaux qu’internationaux. En partie parce que ça ne constitue plus une « nouvelle » telle que comprise par le journalisme, en partie aussi, et plus grave, parce que l’opinion publique et les piliers de la démocratie comme la presse et la société civile se sont, il me semble habitués à ces drames.

Je crois qu’on peut juger de l’état d’un Etat, entre autres, à la manière dont il défend ses faibles, à la manière dont il se souvient ou oublie ses martyrs et à la manière dont il enterre ses morts. La République Démocratique du Congo a des trous de mémoires, une sorte d’amnésie intentionnelle convenable pour son mode de gouvernance actuel. En effet, qui a oublié la déclaration du président à l’époque où il indiquait préférer la paix a la justice. Seulement, toutes les paix ne se valent pas, et une paix durable sans justice est un idéal intrinsèquement contradictoire. La douleur de la justice non servie se conserve bien quel que soit le nombre d’années, car il est refusé aux survivants de faire leur deuil et à la société de soigner ses plaies.

En voyant la bravoure récente de la jeunesse Congolaise, quand le destin du pays en a eu besoin, le sacrifice assumé de Rossy, le martyr atroce de Luc Nkulula, et beaucoup d’autres, plus anonymes, je me suis pris à penser que peut être, le prix payé par Serge Maheshe, par Didace Namujimbo, par le regretté Kabungulu, par Floribert Chebeya et beaucoup d’autres, que ce prix ultime qu’ils ont payés de leur vie a germé comme une semence dans le subconscient de la nation.

Je me console un tant soit peu, en pensant que le fruit de cette semence éclot dans l’engagement plein d’abnégation de la nouvelle génération qui redéfinit le fondement social en pratiquant un refus citoyen de réalités qui menacent la fibre fondamentale de la nation, en innovant par des initiatives entrepreneuriales afin de faire reculer la misère, face à l’adversité, et réinventant l’avenir de ce Congo éternel, pierre après pierre, dans leur combat sans Kalachnikov, de chaque jour.

Et j’espère que les fils de Serge ainsi que nous tous sa famille et ses amis, que les proches de tous ces martyrs de l’histoire récente du Congo, trouveront un peu de consolation et de fierté en sachant que le sacrifice des notre est une semence utile, quoique difficile, qui lentement contribue a faire germer le changement tant espéré.

Par Patrick Maheshe, Kinshasa, le 13 Juin 2019.

Quelques articles pour mémoire :

  1. https://cpj.org/data/people/serge-maheshe/
  2. https://www.radiookapi.net/mot-cle/serge-maheshe
  3. https://www.radiookapi.net/actualite/2011/06/13/bukavu-assassinat-de-serge-maheshe-quatre-ans-deja
  4. http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2007/09/20/sud-kivu-qui-a-tue-serge-maheshe-et-pourquoi/
  5. https://www.protectioninternational.org/en/videos/serge-maheshe
  6. http://afrikarabia.com/wordpress/rdc-des-revelations-sur-lassassinat-de-serge-maheshe/
  7. https://protectioninternational.org/wp-content/uploads/2012/04/Maheshe-Rapport_2nd_edition.pdf
  8. https://www2.ohchr.org/SPdocs/Countries/RapportMaheshe_fr.doc
  9. https://monuc.unmissions.org/rapport-d%E2%80%99observation-du-proc%C3%A8s-en-appel-pour-lassassinat-de-serge-maheshe-2008

https://www.radiookapi.net/societe/2009/11/18/kinshasa-lonu-denonce-de-nombreuses-irregularites-du-proces-en-appel-de-serge-maheshe

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