
Alors que la deuxième partie de la cinquième session du Comité intergouvernemental de négociation (CIN-5.2), chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique, y compris dans le milieu marin, se tiendra du 4 au 15 août 2025 à Genève, la République démocratique du Congo (RDC) est appelée à prendre position sur une décision mondiale historique : l’adoption d’un traité ambitieux et juridiquement contraignant sur les plastiques.
Face à l’ampleur des dégâts environnementaux causés par la pollution plastique, la RDC ne peut se permettre de rester en retrait. Ce fléau dévaste nos lacs, forêts, terres agricoles… et nos corps.
Il compromet notre développement et met en péril les droits des générations futures.
Une crise silencieuse qui détruit notre avenir.
La pollution plastique est une catastrophe lente, mais aux effets profonds. À Bukavu, des tonnes de déchets plastiques sont déversées chaque jour dans le lac Kivu. Ils affectent la faune aquatique, la sécurité alimentaire, et perturbent le fonctionnement de la centrale hydroélectrique de Ruzizi.
Les déchets plastiques bloquent les turbines, causent des coupures d’électricité et alourdissent les coûts d’entretien.
Dans nos grandes villes – Kinshasa, Goma, Kisangani, Bukavu – le plastique étouffe les canalisations, aggrave les inondations, pollue les sols et favorise la propagation de maladies hydriques.
Les microplastiques, invisibles mais omniprésents, s’infiltrent dans l’eau potable, les aliments et même le sang humain.
Ce constat met en évidence l’inefficacité du décret-loi n°17/018, censé interdire les emballages plastiques non biodégradables. Il est temps de revoir en profondeur nos politiques environnementales et de les aligner sur les engagements internationaux.
Pourquoi un traité mondial est essentiel pour la RDC.
Le traité en discussion à Genève représente une opportunité unique. S’il est ambitieux, il permettra :
-La réduction de la production de plastiques à la source, notamment les plastiques vierges liés à l’industrie pétrolière ;
-L’élimination des substances chimiques toxiques présentes dans les plastiques, dangereuses pour la santé et les écosystèmes ;
-L’instauration de règles contraignantes couvrant tout le cycle de vie du plastique, de la production à la gestion des déchets ;
-La mise en place de mécanismes de transparence et de responsabilité (reporting obligatoire) ;
-Le financement d’une transition juste, pour soutenir les pays du Sud, protéger les populations vulnérables et valoriser les collecteurs de déchets.
La RDC, avec ses forêts primaires, ses tourbières, ses lacs et sa biodiversité exceptionnelle, est directement concernée par ces enjeux. Mais elle peut aussi devenir un acteur moteur de la solution.
Un paradoxe à résoudre : plastique contre pétrole
En 2024, la décision du Ministère des Hydrocarbures d’annuler les appels d’offres pour 27 blocs pétroliers avait été saluée comme un pas vers plus de cohérence écologique. Pourtant, l’annonce récente de l’ouverture de 52 nouveaux blocs pétroliers dans la Cuvette Centrale, portant à 55 le total dans cette zone, envoie un signal contradictoire.
Plus de 90 % des émissions de gaz à effet de serre liées aux plastiques proviennent de l’extraction et de la transformation d’énergies fossiles. Or, ces mêmes industries sont à l’origine de la production de plastiques vierges. La RDC ne peut prétendre défendre la biodiversité, tout en ouvrant des gisements qui alimenteront la pollution mondiale.
Cette contradiction affaiblit notre position dans les négociations internationales et menace notre crédibilité écologique.
Nos recommandations à la délégation congolaise à Genève.
SOPRODE Asbl appelle la délégation congolaise à faire preuve de leadership et de cohérence. Voici nos recommandations clés pour les négociations de Genève :
1. Adoptez une position ferme en faveur d’un traité juridiquement contraignant, visant la réduction de la production plastique à la source.
2. Rejetez toute tentative d’affaiblissement du traité, notamment les approches centrées uniquement sur le recyclage ou l’incinération, qui ne s’attaquent pas aux causes profondes.
3. Soutenez un mécanisme financier mondial, pour permettre aux pays du Sud de développer des systèmes durables de gestion des déchets.
4. Plaidez pour une transition équitable, en intégrant les droits des communautés locales, des jeunes, des femmes et des collecteurs de déchets.
5. Alignez la politique nationale sur la position internationale, en abandonnant les projets pétroliers dans les zones écologiquement sensibles (tourbières, aires protégées, bassins versants).
La RDC peut montrer la voie à l’Afrique.
La RDC est observée par toute la sous-région. Elle peut inspirer un mouvement régional pour une gouvernance écologique ambitieuse. Le leadership congolais à la CIN-5.2 pourrait ouvrir la voie à des politiques régionales communes sur les plastiques, les déchets et la santé publique.
Mais cela exige du courage politique. Il faut écouter les scientifiques, les communautés locales, les jeunes, les femmes, qui se battent chaque jour contre cette pollution invisible. Il est temps d’en finir avec l’idée fausse selon laquelle développement et environnement s’opposent. Un environnement sain est la base même du développement durable.
À la croisée des chemins.
La Semaine mondiale d’action pour un traité fort et juridiquement contraignant sur les plastiques, du 22 au 25 juillet 2025, organisée sous l’égide du réseau Break Free From Plastic dont SOPRODE Asbl est membre actif, représente une occasion décisive pour la RDC.
À Genève, notre délégation devra choisir : protéger les intérêts des générations futures ou céder à la pression des lobbies industriels. Choisir la vie, ou tolérer la mort lente par le plastique.
La société civile vous regarde. Mais plus encore, le peuple congolais attend de vous une décision à la hauteur de son espoir.
À propos de SOPRODE Asbl
SOPRODE Asbl est une organisation congolaise de la société civile engagée pour la justice environnementale, la protection de l’enfance, le développement durable et une transition écologique inclusive. En travaillant avec les communautés locales, SOPRODE Asbl promeut des alternatives durables, mène un plaidoyer structuré et œuvre pour une société plus équitable et respectueuse de l’environnement.
Patrick Cishibanji
